Jamais Llewyn ne se serait permis un tel comportement si son cœur avait été pris, par un Son ou par un autre homme. L’affiliation à un gang ou un autre ne changeait rien à la fidélité. Trop loyale - à son clan, sa famille ou ses sentiments -, l’idée même de se laisser aller à un jeu de séduction en sachant n’être pas réellement disponible lui laissait sur la langue un arrière-goût désagréable. Qu’importe la vie torve et clairsemée de délits qu’elle menait, l’Irlandaise n’en restait pas moins droite dans ses bottes. L’adultère n’était pas dans ses habitudes, et elle entendait bien conserver cette petite manie jusqu’à la tombe.
Elle aurait pourtant pu être la régulière d’un des membres du SAMCRO : l’une de ces poules qui s’était pendue suffisamment longtemps au cou d’un motard pour qu’il n’ait plus envie que de ses lèvres et de ses cuisses. Une demoiselle longtemps partagée entre plusieurs lits, qui aurait finalement obtenu gain de cause en répondant aux caresses d’un homme, et un seul. Mais quand bien même elle se laissait parfois aller entre les bras de l’un d’eux, elle offrait volontiers la place d’old lady à d’autres. À toutes ces filles qui se pâmaient en gloussant pour attirer l’attention des invétérés de la Harley. Elle les méprisait un peu, ces gonzesses-là. Comme elle méprisait Laury. Mais, solidarité féminine bancale obligeant, elle se gardait bien d’exposer ouvertement son avis. On n’avait pas le droit, lorsqu’on était affublée de deux chromosomes X, de condamner les agissements et la vie sexuelle d’une collègue. Llewyn poussa un soupir intérieur. Elle regrettait parfois de n’avoir pas un service trois pièces entre les jambes pour pouvoir exprimer sa pensée à fond.
« … Je ne vois pas comment j’aurai pu ne pas m’en rendre compte. »
De la même manière qu’il avait cru l’avoir gênée ? Ou comme il avait pensé la blondasse attitrée de Niall suffisamment célibataire pour pouvoir la courtiser ? L’expatriée se dévissa le crâne pour regarder derrière elle, considérer gravement Vaughn qui, allongé de tout son grand long sur le capot de la Nissan, fixait la voûte céleste. Il lui semblait un peu aveugle à cet instant précis, en dépit de ses talents d’enquêteur.
L’espace d’un instant, Llewyn se demanda si son célibat clignotait sur son front maculé de taches de rousseur. Respirait-elle à ce point la solitude sentimentale pour que son interlocuteur se risque à lui ravir un baiser après deux mots échangés ? Ou plutôt : avait-elle l’air si désespérée par son statut qu’il avait ressenti le besoin, en bon chevalier servant, de l’arracher à ce sort funeste ?
Le temps d’interroger le quadragénaire lui manqua ; il se releva dans un grognement sourd. La rouquine lui lança un regard inquiet, se figurant que les hématomes qui devaient lentement alourdir son abdomen n’aidaient pas la fluidité de ses mouvements. Elle ravala pourtant ses réflexions pour ne pas vexer l’homme dans son égo.
« Tu as raison c’était déplacé. Je me suis laissé emporter. »
Elle hocha doucement la tête en reportant sa dose de cancer des poumons à ses lèvres qui regrettaient brusquement n’avoir pas saisi l’occasion lorsqu’elle s’était présentée. Le ton funeste du brun n’augurait rien de bon, et elle craignit soudain avoir manqué l’unique chance qui lui serait jamais offerte. À jouer de la sorte avec les nerfs de son interlocuteur, elle finirait pas le perdre.
Comme pour répondre à ses appréhensions, Vaughn conclut :
« Je ne recommencerai pas. »
Une chape de plomb lesta subitement l’estomac de la jeune femme tandis qu’une nausée remontait son œsophage en s’accrochant douloureusement aux parois. Elle écarquilla un peu les yeux, se forçant à fixer le vague pour ne pas braquer une paire d’orbes blessés sur le motard. Le souffle coupé sous le choc qui lui vrilla les entrailles, la jeune femme parvint malgré tout à échapper un mince filet de fumée pour ne pas perdre complètement la face. Le sourire faussement amusé qu’elle grimaça eut, malgré toute cette volonté, quelque chose de terne et froid.
« Hem, … On vient te chercher ? »
Llewyn, dégoûtée par l’odeur de sa cigarette, abandonna le mégot alors que son interlocuteur quittait son assise. Elle haussa les épaules, porta sa main à sa poche pour récupérer son téléphone et constata avec dépit l’absence de notifications. À tous les coups, Tadgh prétendrait n’avoir pas vu son message pour s’éviter un trajet qu’il jugeait probablement inutile. Elle ne pouvait réellement le blâmer. La relation chaotique qu’entretenaient les deux Oswell ces derniers temps n’encourageait guère un aller-retour sans témoin pour les empêcher de s’étriper. Un pincement au cœur, l’Irlandaise verrouilla son cellulaire sans s’en débarrasser pour autant. Elle joua nonchalamment avec, le faisant tourner entre ses doigts. Il finirait peut-être encore par vibrer, le bourdonnement suffirait à chasser le rien de déception qui lui tenait l’âme.
« J’aurai pu te jeter. En rentrant. Je peux encore conduire tu sais. - C’est bien aimable, mais j’aurais trop peur de te blesser davantage. Je fais une mauvaise passagère, j’ai tendance à me cramponner au conducteur, se moqua-t-elle gentiment. Je m’en voudrais de t'abîmer un peu plus. »
Surtout, elle refusait la proximité oppressante qu’un trajet à moto imposait. Le parfum de Vaughn, soudain redevenu étranger, lui nouait déjà trop la gorge pour vouloir respirer pleinement son odeur le temps de quelques kilomètres.
Pour se justifier un peu plus, Llewyn leva son téléphone, l’agitant indolemment :
« Et mon chauffeur n’est pas bien loin. »
Le portable s’éveilla à ces mots, affichant en petits caractères le nom de Tadgh qui se mettait en route.
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❝Vaughn I. Dixon❞
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Mes yeux suivent le mégot qui s'écrase sur le sol et je m'étonne de la voir ainsi balancer la moitié d'une clope. Je reviens alors à son visage toujours aussi fermé. Davantage ? La colère qui animait tout son être il y a moins de dix minutes s'est estompée, mais il y a toujours chez Llewyn une étincelle dans le regard. Cet éclat qui provoque et intimide, qui attise et kidnappe. Voilà c'est ça, la raison de cet emportement coupable. Je suis tombé dans son piège comme un bleu et, ma foi, ce fut délicieux.
Les conséquences sont malheureusement pesantes. Jusqu'à cette tentative étrange de baiser, notre jeu n'était qu'amusement. Fascination. Et maintenant ?
- C’est bien aimable, mais j’aurais trop peur de te blesser davantage. Je fais une mauvaise passagère, j’ai tendance à me cramponner au conducteur, [...] Je m’en voudrais de t'abîmer un peu plus. »
Partagé entre le sourire et la grimace, je secoue la tête :
" Tu rigoles j'espère ? "
La rousse-filante a raison de se cramponner lorsqu'elle se trouve à l'arrière d'un conducteur. Je ne comprends pas l'appréhension de me faire mal : comme si j'étais mourant ! Ses mots me renvoient plusieurs images ; trop précises. Pour une pilote si douée, pourquoi ai-je l'impression qu'elle est régulièrement cramponnée à son conducteur ? J'imagine ses bras tatoués autour du corps d'un Son casqué. Anonyme. J'imagine ce contact indispensable, intime. Ses cheveux roux au vent et la vitesse pour seule témoin de la complicité entre deux passionnés ;
Son prétexte n'est qu'une excuse mais j'acquiesce, n'ayant aucune légitimé à me vexer.
L'irlandaise confirme avoir appelé un chevalier servant qui, d'après l'animation de son portable, est bientôt arrivé. Je continue d'acquiescer comme un con, puis referme mon blouson pour empêcher le léger vent de s'engouffrer sous ma chemise.
Je n'ai pas envie de partir. Bien sûr je préfère mille fois me retrouver seul chez moi qu'en compagnie de Laury, après tout ça. Je n'ai pas envie de m'en aller mais c'est elle, qui va se retirer. Comme la dernière fois. Comme à chaque fois. Un jour sans doute je m'amuserai de toutes ces incroyables difficultés qu'elle arrive à provoquer. Un jour tout sera réglé. Rien n'est éternel dit-on et puis ne sommes-nous pas que des quasi inconnus ? Rien ne prend tant aux tripes, avec si peu d'éléments. Rien. Normalement.
" Tu devrais l'attendre au chaud, ton chauffeur. On dirait qu'il va pleuvoir. "
Parler météo, c'est un peu toucher le fond. Mais dire au-revoir ça paraît inopportun. Non, nous avons l'habitude de nous séparer sans rien formuler de précis. Juste un truc à côté, comme je sais si bien le faire. Mais même ça, aujourd'hui, ça ne sort pas.
Je m'éloigne en faisant juste un signe de la main pour rejoindre la Harley garée un peu plus loin. Je n'ai pas fait deux pas lorsque je me décide à faire demi-tour. Je retourne près du trône de la sublime irlandaise et, avec un niveau de maladresse qui n'existait pas - dans le Monde entier - je glisse mes doigts sur son épaule dans un rictus fuyant.
" A la prochaine, rouquine. "
Cette fois je suis bien trop pressé de disparaître pour hésiter. Je rejoins la bécane qui gronde son mécontentement de devoir si vite s'en aller. Le spectacle semblait lui plaire, je l'ai toujours pensée sadique. C'est probablement aussi difficile de partir que de la regarder faire, mais il est trop tard pour envisager autrement l'inévitable séparation.
Mon cœur n'est pas si lourd, sur la moto vibrante. Encore une rencontre imprévue, improbable. Avec son lot de conflits et d'agréments... Si j'ai un dernier regard pour Llewyn, c'est dans le rétro, sous la visière noire. Puis je la perds, imaginant à chaque véhicule croisé que son chauffeur va arriver.
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❝Llewyn Oswell❞
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Llewyn nota l’heure : s’il était chez lui, il ne faudrait pas quinze minutes à son cadet pour rejoindre cette partie de la ville. C’était un quart d’heure de plus en compagnie de Vaughn, neuf-cent secondes à sentir encore le fossé se creuser entre eux, qu’importe leur proximité. Jamais un temps si court ne lui parut si long, aussi pria-t-elle en silence que Tadgh soit fidèle à lui-même : un petit con irritable et irrespectueux des règles. Elle lui pardonnerait volontiers de griller un ou deux feux rouges en chemin et de presser un peu trop la pédale d’accélérateur, pourvu qu’il arrive vite. Ils avaient cela en commun de toute manière ; et c’était peut-être la dernière chose que l’enfant du milieu acceptait de partager encore avec sa sœur.
« Tu devrais l’attendre au chaud, ton chauffeur. On dirait qu’il va pleuvoir. »
Llewyn leva le nez pour aviser les nuages lourds et poisseux qui obscurcissaient leur ciel d’encre. Elle eut une moue indifférente, se fichant pas mal des quelques gouttes qui pourraient bien tomber. Les précipitations en Californie étaient rares, courtes, souvent tièdes ; elles concurrençaient à peine les pluies estivales de Belfast. Il ne faisait pas bien humide dans ce coin du globe, si bien qu’elle avait plus d’une fois cru suffoquer à son arrivée à Charming. La grisaille tenace et les averses de son Irlande natale lui manquaient parfois. Elle avait grandi les pieds trempés par les déluges, les os mouillés par le crachin local. On remplissait des mers entières avec les intempéries gaéliques quand le comté de San Joaquin devait se contenter à l’année d’un seau à peine plein.
« Ne t’en fais pas pour moi … »
L’arrosage fréquent subit par le quartier bucolique de Short Strand, à raison de deux-cent jours par an - au moins -, lui avait valu de pousser vite. Et bien. Elle faisait une belle mauvaise herbe d’un mètre soixante-dix aujourd’hui quand elle n’aurait peut-être pas dépassé le mètre soixante dans d’autres conditions météorologiques. Étonnamment, pour un homme qui n’avait pas dû voir souvent la pluie, Vaughn, lui, semblait bien grand. Il surplomblait l’expatriée d’une tête lorsqu’elle lui faisait face et de trois au moins depuis qu’il s’était levé pour ajouter son coup de pioche à la crevasse qui les éloignait déjà.
Contre toute attente, le quadragénaire n’ajouta rien de plus. Son blouson zippé, les lèvres closes, il accorda un vague signe de main à son interlocutrice puis se détourna. Un pas pour marquer la fin de leur chapitre avorté. Un deuxième pour enfoncer dans le crâne de l’Irlandaise la page qu’il tournait si vite. Elle appréhenda un troisième martèlement de talon qui ne vint cependant pas. Au contraire, Vaughn pivota sur lui-même pour revenir en arrière, faisant gonfler le cœur de Llewyn dans sa poitrine, tant et si bien que ses poumons n’eurent plus la place de s’épanouir. Elle retint son souffle, espérant, muette, quelque chose. N’importe quoi pour effacer les déclarations et promesses décevantes du motard. Un regard encourageant, un frôlement, un mot, une caresse ! un rien. Mais le brun s’immobilisa avant d’être trop proche et, interdite, la jeune femme accusa avec déception le contact furtif des doigts masculins sur son épaule.
« A la prochaine, rouquine. »
Elle cligna des paupières, le voyant s’éloigner entre deux battements de cils étonnés. Son souffle, lorsqu’il repartit, eut des airs de râle. Qu’attendait-elle exactement ? Le grondement de la Harley qui s’en allait couvrit le bruit de ses pensées confuses, et Llewyn se renfrogna.
Son ancien adversaire était déjà loin quand les feux de Tadgh crevèrent l'horizon. La rousse, les mains dans les poches et le moral dans les chaussettes, glissa de son perchoir. Elle s'ébroua un peu pour se donner le courage d'affronter les quelques mètres qui l'éloignaient de la voiture et se laissa finalement tomber dans un soupir sur le siège passager. Le conducteur l'accueillit dans un froncement de sourcils comme son regard se perdait sur sa joue rougie, et il associa la mauvaise humeur de sa sœur à la teinte de sa pommette, conscient qu’il valait mieux ne pas poser de question au risque de réveiller l’orage qui avait dû s’abattre sur l’imbécile responsable des dégâts.