Mel est née de l’autre côté du pays, dans l’ombre du Daytona Speedway. Avec ce voisin gigantesque et un père patron d’un petit garage, pas étonnant qu’elle ait de l’huile de moteur dans les veines. Son père l’a mise sous un châssis avant même qu’elle sache marcher, et elle avait des arbres à cames en guise de poupées. Elle préférait l’ambiance électrique des Daytona500, point d’orgue de l'année que la langueur de Daytona Beach. Elle a eu une vie normale, Mel, avec des parents qui bossaient dur, deux frères normaux - à la fois protecteurs et casse-pieds. Du moins son enfance et son adolescence le furent.

Et puis à 17 ans, elle a rencontré Jay. Jay Marconi, beau gosse du lycée d’un an son aîné et, elle l’apprit plus tard, petite main de la mafia italienne locale. Elle en tomba folle amoureuse, et réciproquement. La réciproque fut d’ailleurs probablement encore plus violente tant il s’évertua par la suite à marquer son territoire et à se l’attacher, de toutes les manières possibles - ou presque. Mais leur première année fut idyllique, pleine de rose et de guimauve. Oh bien sur, les parents de Mel ne voyait pas d’un bon oeil que leur fille s’amourache de Jay. Mais Mel avait déjà ce caractère indépendant, à n’en faire qu’à sa tête. Elle n’avait que 17 ans, alors ses parents laissèrent faire.
Sauf qu’elle finit par avoir 18 ans. Et dans le plus grand secret, Jay et Mel se marièrent, mettant leurs familles devant le fait accompli. Chez Jay, la situation ne souleva pas grande polémique, mais pour la famille de Mel, ce fut dramatique. La dispute fut violente, surtout avec son père. Mel finit par quitter la maison en jurant qu’elle leur montrerait que tout irait bien. Elle n’y a plus remis les pieds qu’une seule fois ensuite.

Car tout n’alla pas bien.
Mel emménagea avec Jay, qui, à 19 ans, s’était engagé pleinement auprès de son gang. La tradition patriarcale demandant à ce qu’il tienne sa femme, il utilisa le moyen le plus facile à sa disposition : les coups. Une gifle pour la vaisselle pas faite… La première la dérouta. Ils s’engueulèrent, et elle finit avec un coup plus important. Ce dont il s’excusa aussitôt, prétextant la fatigue, les traditions, la colère… Mais je t’aime. Je t’aime, tu sais… Pour remettre cela la fois d’après. Et la suivante. Et avec plus de force et moins d’excuses. Et puis il y eu le jour où, complètement ivre, il la marqua au bras avec sa chevalière chauffée à blanc pour marquer sa propriété, mais Mel eut le sentiment de toucher le fond le jour où il la viola après l’avoir battue.
Prisonnière de ses crâneries, elle se refusait à quémander de l’aide, à ses parents ou ailleurs. Elle se convainquait que c’était nécessairement elle qui faisait mal quelque chose, qu’elle devait être meilleure, plus prévenante, plus attentive…Sa seule consolation était qu’il ne la frappait que rarement au visage : il fallait qu’elle soit présentable pour se rendre à la messe, le dimanche.
Ainsi vivota-t-elle, sans autre horizon que la maison du couple, le supermarché pour faire les courses, et les sorties à l’église ou aux festivités du gang. Et parfois, des vacances au soleil offertes par Jay. Jusqu’à ses 25 ans, où elle se découvrit enceinte. Elle ne savait pas trop pourquoi ce n’était pas survenu plus tôt, mais elle se prit à espérer que cet enfant changerait tout. Et effectivement, Jay se montra doux et prévenant pendant un bon mois. Mais sous le coup d'une cuite d’anthologie, Jay se mit dans une colère noire : Mel, fatiguée de sa grossesse qui la laissait plus que nauséeuse, n’avait rien fait de la journée, notamment pas encore préparé le repas. De cette soirée, Mel se souvient d’un coup de poing au visage et de la sensation de la lame dans son ventre, Jay braillant qu’elle n’était qu’à lui, et que rien ni personne ne devait détourner son attention de lui. Elle se réveilla seule, à l’hopital, le visage tuméfié et l’utérus en charpie. Dans les brumes morphiniques, elle comprit enfin que rien ne changerait Jay, mais également qu’il ne la laisserait jamais partir, ou alors dans un sac mortuaire.

Tant qu’elle resta en soins intensifs, elle se sentit en relative sécurité, malgré l’insistance du personnel soignant pour lui tirer les vers du nez - voire lui faire porter plainte. Il lui aurait fallu admettre ces sept années d’obscurité. Malgré tout, Mel s’entêtait à refuser de reconnaitre la détresse que fut la sienne. Et puis vint le jour où le médecin lui annonça qu’elle sortirait le lendemain, accompagné pour la première - seule - fois de Jay. La terreur que lui inspirait la présence de son mari et l’idée de retourner vivre avec lui fut un électrochoc.
Sans trop savoir comment, elle fugua de l'hopital, cette nuit-là.
Avec des vêtements « d’emprunt », marchant comme elle pouvait, elle rejoignit la route principale. En stop, elle gagna Jacksonville, puis Savannah. Ce ne fut que lorsqu’elle eut quitté la Floride qu’elle se sentit respirer mieux. A Savannah, elle réussit à se faire admettre sous son nom de jeune fille dans un foyer pour femmes battues - ses cicatrices faisaient un bon laisser-passer - et chercha du boulot. Serveuse, mecano, caissière… Elle enchainait les petits boulots jusqu’à atterrir dans un casino flottant. Ce fut une nouvelle révélation : croupière était un métier qui lui plaisait - et qui rapportait. Elle eut enfin les moyens de s’acheter une voiture. Et pas n’importe quoi : une Mustang Fastback de 1967. Dans un état déplorable, certes. Mais le véhicule roulait et était le Graal de son père. Grace à cette voiture, elle quitta Savannah et commença son errance. Plus ou moins consciemment, elle partait vers l’ouest. Mettre le plus de distance possible entre Daytona Beach et elle. Entre Jay et elle. Lorsque ses finances devenaient critiques, elle se faisait embaucher dans un casino local le temps de refaire sa cagnotte et elle repartait. Pendant trois ans, elle vécu ainsi, pour elle, et rien que pour elle. Goutant pour la première fois de cette liberté chèrement acquise, elle commença à se forger son indépendance. Elle goutait également tous les plaisirs à sa portée, tous les vices aussi. Elle apprit également à se défendre : suite à une mauvaise rencontre à Greenville MS, elle acheta sa première arme. Et apprit à s’en servir.

Et donc après trois ans d’errance, elle arriva à Charming, guidée par la rumeur d’un groupe de femmes qui prenaient leur destin en main en s’affranchissant des hommes. Elle avait voulu voir ca d’elle-même.
Prenant un autre petit boulot, elle avait observé, avant de demandé à les rejoindre.
L’initiation passée, elle avait été intégrée au gang, découvrant l’amitié, la chaleur et le soutien. Elle a également gravit les échelons, jusqu’à proposer de mettre à profit ses connaissances du monde du jeu cinq ans plus tôt. Un an plus tard, elle ouvrait le Hands Off pour le compte des Imperator, tripot clandestin dans le sous-sol d’un salon de coiffure. Mel le gère depuis lors, veillant scrupuleusement à faire fructifier les gains du gang.