Le repas se déroulait en silence dans la maison, le bénédicité venait d'être dit. On entendait simplement le tic tac de l'horloge qui retentissait faisant durer l'instant, seul le bruit des couverts s'entrechoquant rompait ce rythme monotone. Felicity regardait ses légumes et son steak qui semblaient la regarder avec dépit. Les repas ne se déroulaient pas tous de cette façon, et heureusement, dans la maison. Mais la colère de son père, alors qu'elle venait de ramener une mauvaise note avait fait trembler les murs de la maison. L'adolescente n'avait plus faim, l'humiliation, la honte et la colère avaient pris contrôle de son corps et de son esprit. Elle entendait encore les mots de son père, aussi aiguisés qu'un couteau de cuisine, tel un écho se répercutant dans une vallée sombre.
Sa mère n'avait rien dit, comme à son habitude, s'était murée dans un silence, acceptant tout ce que son mari faisait. Après tout, les enfants étaient bien élevés. Cela mettait d'autant plus Felicity en rage qu'elle ne comprenait pourquoi elle ne prenait pas sa défense.
"Mange ton assiette chérie, tu vas avoir faim cette nuit sinon." Se contenta-t-elle de dire, d'une voix douce et apaisante.
On sentait que cette situation pesait sur son coeur, mais qu'elle n'osait rien dire. Cole, lui aussi mangeait en silence, mais l'ambiance ne le dérangeait pas, il savourait son repas avec délices, indifférent à l'humeur morose de ce dîner assez peu engageant. Felicity lui lança un regard, se demandant bien comment il pouvait passer au dessus de tout ça. Sa jeunesse sans doute, ou bien sa nonchalance de cadet qui le blindait, le protégeant de toutes remarques, toutes critiques de la part de ses parents.
D'ailleurs il lui fit une grimace narquoise. Felicity lui lança un regard aussi noir que la fureur qui rongeait à présent son esprit. Cela ne découragea pas le petit, au contraire, il ajouta à sa grimace une remarque cinglante :
"Apparemment t'es nulle à l'école"
Ce fut l'affront de trop. Felicity avait un caractère déjà bien trempé, mais si on ajoutait l'adolescence et sa colère qui la faisait fulminait, elle devenait une arme de destruction massive. Elle prit son verre d'eau et le jeta à la tête de son frère.
"FELICITY !" rugit le père en se levant brutalement.
L'adolescente se leva également.
"C'est injuste ! C'est lui qui a commencé et c'est moi qui prends ! Comme d'habitude quoi !" Et elle se dirigea vers sa chambre et pénétra dans la pièce en claquant la porte. C'était toujours la même chose. Son frère avait tous les droits, rien ne lui était interdit. C'était à elle de débarrasser la table, à elle de ramener des bonnes notes, à elle de rester à table aux repas de familles aussi longs qu'une messe à l'Eglise le dimanche matin, qu'elle était obligée de suivre également. Elle n'en pouvait plus. On frappa à la porte.
Affalée sur son lit, la tête dans l'oreiller, Félicity ne dit rien. Elle ne voulait voir personne. Elle entendit la porte s'ouvrir et elle sentit quelqu'un prendre place à ses côtés.
"Felicity... écoute-moi." la voix grave de son père était rassurante, mais ferme.
"Oui, nous sommes plus sévères avec toi, parce que tu ne peux pas te permettre de faire des erreurs. Tu est notre fille aînée, c'est toi qui devras porter les valeurs de notre famille, son nom et son histoire, quand nous ne serons plus là. Je ne peux pas me permettre de te laisser faire des erreurs. C'est pour ton bien." Elle ne répondit pas, trop fière pour lui adresser la parole et convenir qu'il avait raison. Mais, les mots se firent un chemin dans son esprit et elle comprit ce que son père attendait d'elle. Ces mots ne la quitteraient jamais vraiment.
...
"Allez on se bouge ! Dans 5min je vous veux dehors pour un footing !" la voix du sergent instructeur de la police résonna dans tout le dortoir et initia un mouvement de panique parmi les élèves de l'école de Police.
Il était 4 heures du matin et le réveil était brutal. Néanmoins, Felicity enfila des vêtements, les rangers et se dirigea dehors avec ses camarades féminines. Elles n'étaient pas nombreuses, moins nombreuses que les hommes. Ces derniers étaient déjà sur place lorsqu'elles arrivèrent.
"Bah alors, on est en retard les filles ?" Fit Mason, un enfoiré que Felicity ne pouvait pas voir en peinture.
"C'est sûr que le maquillage est long à mettre le matin."Ils se mirent à rire à gorge déployé, leur donnant un air de bovin qui meugle. La jeune femme lui répondit sur le même ton, agacée par leur comportement machiste depuis le début de leur entraînement.
"Et toi, la douche a été rapide Mason, c'est peut-être à cause de ta petite queue, elle n'a pas vraiment besoin de beaucoup d'eau pour être propre hein ?."
Il allait lui répondre quand le sergent instructeur l'interrompit sur sa lancée.
"Allez footing de 5km, vous faites 2 fois le tour du complexe. Le dernier arrivé nettoiera les latrines"Ils se mirent en route, fatigués par leur courte nuit, mais motivés. Tous ici avaient un même objectif, réussir l'école de police. Devenir des défenseur de la paix et de la loi. Felicity avait choisi cette voie pour rendre fier son père. Et il l'était. Il l'avait prévenue que ce ne serait pas facile, que certains de ses camarades masculins allaient essayer de la rabaisser, mais la jeune femme avait la détermination d'un médaillé olympique et elle détestait les connards.
"Prête à nettoyer ma pisse Gallagher ?" entendit-elle à sa droite. Et elle vit Mason la dépasser avec un sourire goguenard flottant sur son visage de gorille.
Elle ne releva pas, concentrée sur son souffle et sa foulée régulière. Elle avait appris à calmer un peu son caractère. La violence ne résoudrait rien et la vengeance était un plat qui se mangeait froid. Mason aurait ce qu'il méritait, quand elle aurait réussi et lui non. Elle attendit le dernier kilomètre pour faire une dernière accélération. Arriver première du peloton lui importait peur. Dépasser ce crétin en revanche... c'était autre chose.
Il ne la vit pas venir, convaincu de sa supériorité physique il ne s'était pas méfié. Pour lui, il était impensable qu'une femme soit plus rapide, plus endurante que lui. C'était mal connaître Felicity qu'il observa comme au ralenti, le dépasser largement à la course. Elle fila comme une flèche pour le distancer.
Sur la ligne d'arrivée, elle lui lança le même sourire goguenard qui avait flottait sur le visage de l'homme quelques minutes plus tôt.
Cela avait suffit. Il ne l'avait plus provoquée... comprenant qu'il ne pouvait pas toujours gagner.
...
La voiture filait à une vitesse fulgurante dans les rues de la ville. Le bruit du moteur, heureusement alertait les autres automobilistes avant même la sirène de la voiture de police.
Tournant complètement le volant dans ses mains, Felicity prit un virage serré pour suivre le coupable de délit de fuite. A ses côtés son collègues, radio en mains, informaient les autres.
"A toutes les unités, on a un délit de fuite, je répète on a un délit de fuite. Une mercedes bleu, immatriculé....""Putain !" s'exclama Felicity en évitant de justesse de se prendre un poteau. Elle avait presque rattrapé le suspect. Elle y était presque.
"Je vais l'avoir." murmura-t-elle entre ses dents.
La radio grésilla :
"Voiture 2, ne prenez pas de risques, on a conçu un barrage il ne pourra pas aller plus loin.""Voiture 2 bien reçu." répondit son collègue.
"Tu peux ralentir un peu Fel' ."Mais elle n'écoutait pas, sa rage de réussir, ses années dans la police l'avait rendue confiant, beaucoup trop confiante. Le bruit des pneus crissant sur la route l'emplissait d'adrénaline.
"Hé fast and furious, ralentis bon sang !" Son collègue se cramponnait au siège.
"Je vais l'avoir je te dis !" s'exclama-t-elle.
Ils venaient de tourner dans une rue étroite, la voiture poursuivie était à quelques mètres devant eux, elle sortait de la rue. Ils étaient à deux doigts de l'atteindre. Felicity eut un sourire triomphant.
Cela se déroula en une fraction de seconde, ses lèvres s'étiraient encore lorsque le choc survint. Elle fut projetée contre la portière, n'eut même pas le temps de pousser un cri. Puis ce fut le trou noir.
Lorsqu'elle reprit conscience, elle était allongée dans un lit d'Hôpital. Le bip constant d'une machine la tirèrent de sa torpeur. Et elle se souvint de tout. La voiture du suspect, le camion arrivant à sa droite, qu'elle n'avait pas vu... le choc. Mon dieu... Josh ! Elle ouvrit les yeux brutalement pour croiser ceux de son fiancé.
"Mon dieu ! Mon coeur !" s'exclama-t-il en la voyant se réveiller.
"Comment tu te sens ?""Comment va Josh" murmura-t-elle, la voix enrouée.
Dean baissa les yeux.
"Il est encore au bloc. Mais ne t'en fais pas je suis sûr que les médecins vont tout faire pour le remettre d'aplomb".
Mais les médecins ne firent rien. On lui apprit, sur un ton mal à l'aise, que son collègue n'en ressortirait pas sans séquelles. Il avait prit le camion de plein fouet et, il avait même de la chance d'être encore en vie. Malheureusement, cette vie, il la passerait dans un fauteuil roulant. Felicity ferma les yeux, laissant une larme couler le long de sa joue. La culpabilité la rongeait alors et ne la quitterait jamais vraiment. Tout ceci à cause de son zèle et de sa putain de fierté. Bon sang, quelle conne ! Et le pire dans tout ça, c'est que Josh ne lui en voulut même pas. Il disait que ce n'était pas de sa faute, qu'ils n'avaient fait que leur job et qu'il connaissait les risques... c'est ce qui lui fit le plus mal au coeur.
...
Encore une semaine harassante. Ce boulot était devenu une vocation. Voilà 6 jours qu'elle était en planque afin de débusquer un trafic de cocaïne dans le secteur sud. Ils avaient réussi à le démanteler beaucoup plus rapidement que prévu. Elle avait eu peur que Cole en fît parti, mais son frère n'avait rien à voir là dedans.
Fatiguée par des nuits trop courtes, elle poussa la porte de leur maison, qui était bien silencieuse. Il était onze heures du soir. Dean devait certainement dormir. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle rentre si tôt, aussi fit-elle le moins de bruit possible pour ne pas l'éveiller.
Lorsqu'elle ouvrit la porte de la chambre, dans l'espoir de trouver son lit chaud et douillet, elle se figea, électrisée par l'image qui s'offrait à elle : Le dos d'une femme, nue, lui faisait fasse et les gémissements de son époux, allongé sur le lit lui parvinrent alors et cela la réveilla de sa paralysie soudaine.
"Je dérange on dirait." Elle n'arrivait même pas à mettre de la colère dans sa voix.
Les deux amants sursautèrent et Dean poussa la jeune femme sur le côté, elle la connaissait. C'était une des agent d'accueil du commissariat. Felicity eut un rire ironique.
"J'ai compris, je vais dormir chez mes parents..." dit-elle en sortant précipitamment de la pièce, ne sachant pas vraiment quoi dire. La colère aurait dû l'envahir mais, c'était surtout la honte et l'humiliation qui la prenait par la gorge. Au fond elle savait qu'ils n'avaient plus de sentiments l'un pour l'autre mais, la tromper avec une collège ?! Vraiment ?! C'était un affront qui la mettait plus bas que terre, que penseraient les autres ?
"Attends !" Elle entendit Dean la suivre dans les escaliers.
"Attends s'il te plaît, je ne voulais pas que...""Tu ne voulais pas quoi... me faire passer pour une conne ?! c'est fait, c'est trop tard Dean." Dit-elle en se retournant brusquement.
" Je savais que j'aurais dû demander le divorce... je le savais. Je suis même surprise que tu ne me l'aies pas demandé toi-même. Mais non tu as préféré faire tout ça dans mon dos... pff un prince charmant tu parles."
"Attends ! Tu pouvais le demander aussi non ?! Ne m'accuse pas de lâcheté alors que tu as été aussi couarde que moi Fél'" Il avait levé un doigt accusateur en sa direction
"Vue la position dans laquelle je viens de te trouver, tu n'as vraiment pas le droit de te défendre. Maintenant si tu veux me parler, il faudra voir avec mon avocat." Renchérit-elle en se saisissant de son sac, ne prenant même pas le temps de prendre quelques affaires.
"On n'a pas couché ensemble depuis des mois, sous prétexte de fatigue et de migraines ou je ne sais quelle balivernes. tu t'attendais à quoi ?""Et bien tu expliqueras au juge que ta libido n'en pouvait plus" répondit-elle avant de lui claquer la porte d'entrée au nez.
Une fois dans sa voiture, Felicity poussa un soupir, et les larmes coulèrent sur ses joues, témoins de son ego blessé, plus que son coeur, car il y avait un moment que ce dernier ne battait plus pour Dean.
...
Une énième journée de travail s'était terminée et voilà qu'elle rentrait seule, face à ses pensées, son esprit toujours rempli de questions sans réponse, qu'elle se refusait de poser. Elle avait dû racheter la part de la maison et la bâtisse était bien grande pour elle et sa solitude. Ce n'était pas tant l'isolement qui la gênait, mais bien ce manque de tendresse que la jeune femme repoussait aussi.
Par honte. Elle n'avait pas envie d'assumer ce qu'elle était, qui elle était réellement. Finalement, si son mariage avait foiré c'était bien à cause d'elle.
Elle soupira en se laissant tomber sur son canapé, un verre de bourbon à la main. Elle détestait le whisky mais bon... elle n'avait que ça dans le placard pour noyer son épuisement. Son travail il n'y avait plus que ça qui comptait. Son travail et sa famille.
Et son frère qui faisait parti de ce gang... qu'elle refusait d'arrêter pour le moment, elle avait l'espoir de le ramener à la raison. Felicity était bien trop optimiste, mais pour la famille, elle ferait tout. Pour que son père retrouve son fils, elle sacrifierait bien un bout de sa carrière.
Non il y avait une bonne nouvelle dans cette longue journée. Zelda et elle avaient réussi à travailler ensemble aujourd'hui et elle devait avouer, qu'elle était fière de voir que les choses commençaient à s'améliorer entre elles. Bon, Felicity la trouvait toujours très très agaçante, mais cette tension qui était palpable entre les deux policières rendait leur équipe plutôt efficace et finalement, elle se surprenait à apprécier leurs échanges houleux. Mais cela elle ne l'avouerait jamais vraiment...