Je vais le dire, le Québec n’a rien à envier aux gangs californiens. Ce qu’il se passe à Charming, c’est violent, oui, mais les Hell's, au Québec,
c'était quelque chose.
Je ne peux pas dire que je me souviens de la fameuse
guerre en tant que telle. Trop jeune. Mais j’ai connu les belles années. Les Hell’s m’ont accepté comme prospect, à 19 ans. En même temps, ils me connaissaient depuis un bon moment déjà, en tant que petit con du quartier, toujours à me mettre dans le trouble;chercher la merde.
Disons que mes parents ne m’avaient pas trop à l’oeil. Ma mère était américaine, et ne me rendait visite que l’été, et mon père était un bon à rien. J’ai un peu été élevé par les gens du quartier. C’est eux qui me manquent le plus d’ailleurs, même s’ils étaient loin d’être très recommandables. C’est comme ça que j’ai connu Jos, le garagiste-mécanicien du coin, mais qui avait le talent de fucking Picasso. Il pouvait dessiner n’importe quoi sur les voitures et les motos de ses clients. Des flammes, des filles à poils, des monstres, n’importe quoi! Et il était gentil Jos. Même s’il m’appelait « p’tit criss », je savais qu’il m’aimait bien. Dès 17 ans, j’ai commencé à travailler pour lui, dans son atelier. Je me suis inspiré de lui pour commencer à dessiner, et tatouer les gens, en commençant dans les soirées entre amis, complètement bourré.
Jos ne m’a jamais explicitement dit qu’il faisait partie des Hell’s, mais en même temps, il aurait fallu être aveugle pour ne pas s’en douter : des allées et venues de motards full patch, des livraisons bizarres, des menaces de mort au téléphone, et une bonne quantité d’armes à feu cachée derrière le comptoir. Moi, je faisais seulement ce que Jos me disait de faire, en plus de me faire connaître par les « clients » de Jos. J’étais le p’tit criss de tout le monde, et ça me donnait l’impression d’être vraiment apprécié, et d’appartenir à quelque chose, avant même d’être officiellement prospect.
Quand je reçus la veste, on était en 2005. Les Hells avaient le contrôle sur la province et le vent dans les voiles. On avait des chapters à Trois-Rivières, Québec, Sherbrooke, Montréal, et le South. J’appris petit à petit les « rouages du métier », comme on dit. Avoir l’air menaçant, se bagarrer, menacer, bref, vous voyez se que je veux dire. Je travaillais également dans un salon de tatouage, où j’avais un certain succès. En y repensant, c’était presque la belle vie, jusqu’au
15 avril 2009.
Du simple sympathisant aux leaders, la quasi-totalité des membres de l’organisation fut arrêtée. Moi et Jos y compris. Mais ce n’est même pas ça le pire…
Je me demande encore pourquoi Jos a choisi de collaborer avec la police à ce moment-là, et de balancer tout le monde, à condition que je sois blanchi, et la police a accepté. Tout ce que je sais c’est que j’ai sous-estimé à quel point il m’appréciait. Cependant, je crois que je ne lui pardonnerai jamais d’avoir fait ça aux autres. J’aurais préféré faire de la prison, et assumer ce que j’avais fait, plutôt que de devoir vivre avec une liberté que je ne méritais pas. Jos voulait le meilleur pour moi, mais il venait de m’enlever tout ce que je connaissais. Les policiers ont accepté. De toute façon, ce n’est pas comme si je pourrais rejoindre un autre gang de sitôt… ce qu’ils croyaient.
À 24 ans donc, je traversai la frontière, et rejoignait ma mère en Californie, à Charming, sur ma moto, ma veste en cuir bien planquée dans mes bagages. Je sais, c’est con de l’avoir gardé. J’aurais dû la brûler, la jeter dans le Fleuve, mais je n’ai pas pu. Je ne suis pas fier non plus d’avoir dit autant de conneries à ma mère. Que j’en avais marre du Québec, de la neige, que j’avais envie d’essayer de me faire connaître plus sérieusement comme tatoueur, et que la Californie est idéale pour le faire. À condition de travailler mon anglais.
Le petit copain de ma mère fut mon premier client. Je comprenais l’anglais, mais je ne le parlais pas très bien encore, mais ça, je le gardais pour moi. Persuadé que je ne comprenais rien de ce qu’il disait, le copain de ma mère n’avait aucune gêne pour appeler ses potes, discuter du gang dans lequel il était, parler de quelle était la prochaine cible, bref, des conversations que j’avais déjà entendues en français, et qui m’était beaucoup trop familières. Et rapidement, en plus de m’amener de nouveaux clients membres de son gang, les Sons of Anarchy, j’entrais petit à petit dans celui-ci. Sans doute, j’avais le profil. Sans doute, j’étais étonnamment doué pour «un débutant». Un an après mon arrivé en Californie, je devenu prospect, une seconde fois.
J’ai 35 ans maintenant, et je ne regrette rien. Je n’ai jamais parlé de mon passé avec les Hells, car honnêtement, je ne sais pas si c’est une bonne chose ou non, et je ne préfère pas le savoir. La famille que j’ai trouvée à Charming m’est trop précieuse pour que je prenne le risque.